Alors que les sciences occupent une place de plus en plus déterminante dans les choix sociétaux, la parole des scientifiques peine parfois à se faire entendre, noyée parmi les voix d’influenceurs ou diluée dans la circulation de contenus non vérifiés. Face à ce constat, former les étudiants à l'éveil de la culture scientifique chez les jeunes générations est aujourd’hui essentiel. C’est précisément l’ambition du projet SHARE, qui vise à montrer que la science est une aventure collective et accessible à tous.
A l’origine de cette initiative, Karen Gaudin, enseignante en chimie analytique appliquée aux sciences pharmaceutiques, et Stéphanie Cluzet, enseignante des sciences végétales et biotechnologies nous livrent leur témoignage. Interview.
En quoi votre projet s’inscrit-il dans les objectifs de l’alliance ENLIGHT ?
En mettant l’accent sur l’ouverture de l’université à la société, ENLIGHT entend former une nouvelle génération d’étudiants européens engagés, capables de croiser les disciplines, d’acquérir des compétences transversales et de se saisir des grands enjeux sociétaux. À travers le projet SHARE, les étudiants se confrontent à un exercice très formateur : expliquer la science de manière accessible et vivante, développer leur communication, à la fois scientifique et interculturelle, mais aussi leur capacité à coopérer. Autant d’atouts qui renforceront leur engagement citoyen et leur insertion professionnelle. Pour les universités impliquées, c’est aussi l’occasion de développer de nouvelles relations avec des établissements du secondaire autour de projets communs, contribuant ainsi à créer de plus en plus de passerelles entre le secondaire et l’université.
Comment est née la collaboration avec les partenaires européens et quelles ont été vos motivations pour créer ce projet ?
C’est à l’occasion de la Teaching and learning conference d’ENLIGHT de 2023 que nous avons rencontré Muriel Grenon, enseignante-chercheuse à l’Université de Galway et responsable du programme Cell Explorers, un dispositif de médiation scientifique mené avec des étudiants. Très vite, le courant est passé, et l’idée de construire un projet similaire en lien avec nos propres contextes universitaires a germé.
Nous partagions un constat préoccupant que de moins en moins d’étudiants s’orientent vers les filières scientifiques. La science souffre d’une image parfois austère, perçue comme difficile, abstraite, voire réservée à une élite, et régulièrement remise en question dans l’espace public. Il nous a semblé essentiel de raviver le désir de science dès le plus jeune âge, en proposant une approche active : expérimenter, manipuler, poser des questions… en somme, éveiller la curiosité scientifique et déconstruire les stéréotypes. En impliquant des étudiants, on crée un effet miroir : les élèves peuvent s’identifier plus facilement, et peut-être se dire “et si moi aussi, je faisais de la science ?”. C’est cette ambition, à la fois pédagogique, citoyenne et humaine qui a guidé la création de ce projeT.
En quoi cette démarche enrichit-elle l’expérience et la formation des étudiants ?
En étant placé au cœur d’une démarche active de médiation scientifique, les étudiants développent de nombreuses compétences transversales : vulgariser des concepts complexes, adapter leur discours à différents publics, travailler en équipe, gérer une animation et prendre la parole en public avec aisance. Autant de savoir-faire essentiels, que ce soit pour poursuivre dans la recherche ou évoluer dans d’autres secteurs professionnels.
Cela renforce également la confiance en soi, l’aisance relationnelle et surtout le sentiment d’avoir un rôle utile à jouer dans la société. De nombreux étudiants nous confient que cette initiative a été un déclic : elle les a confortés dans leur choix d’orientation, ou leur a donné envie de s’engager davantage dans des projets à impact social.
C’est par ailleurs une façon concrète de donner corps à la mission sociétale de l’enseignement supérieur, en lien avec notre label Science Avec et Pour la Société. Ici, l’étudiant devient un acteur-médiateur, un trait d’union entre l’université et la société. En somme, ce projet est transformateur : pour les étudiants, qui gagnent en compétences et en engagement ; pour l’université, qui affirme son ancrage territorial et son ouverture ; et pour les citoyens, qui renouent avec une science vivante, accessible et incarnée.
Quels défis avez-vous rencontrés dans la mise en place de ce projet ?
Le premier défi était de motiver les étudiants, qui hésitaient à s’engager, par manque de temps ou parce qu’ils doutaient de leur légitimité. Nous avons donc axé notre communication sur les bénéfices concrets de cette expérience en termes d’acquisition de compétences, de valorisation dans leur parcours et d’engagement citoyen. Nous les avons rassurés en leur présentant l’accompagnement complet dont ils pouvaient bénéficier : formation à la prise de parole en public, apprentissage de l’adaptation du langage scientifique à un jeune public, et mises en situation concrète.
Le second était de faire connaître le projet auprès du grand public et des établissements scolaires. Globalement ce point s’est avéré plutôt simple à surmonter. Les établissements sont très demandeurs de ce type d’initiative. Nous avons mobilisé nos réseaux personnels et participé à des événements organisés par l’université, comme la Fête de la science. Le véritable défi était pédagogique pour adapter les contenus scientifiques afin d’obtenir des formats ludiques et interactifs.
Nous avons choisi d’impliquer les étudiants dans la conception et les avons accompagnés sur les aspects pratiques (sécurité, matériel, budget, gestion du temps). Chaque difficulté s’est révélée être une opportunité d’apprentissage collectif ce qui a véritablement renforcer la cohésion du groupe.
Comment imaginez-vous l’évolution de votre collaboration et quelles sont les possibilités d’élargir son impact à l’avenir ?
Notre collaboration s’appuie sur une volonté commune de co-construire des dispositifs pédagogiques innovants, à l’intersection de l’engagement citoyen, de la médiation scientifique et de l’internationalisation de l’enseignement supérieur. Cette démarche pourrait se concrétiser par la création d’un Blended Intensive Programme (BIP). Nous envisageons un programme alliant enseignements en ligne, mobilité courte et activités pratiques, qui permettra aux étudiants issus des universités partenaires de vivre une expérience académique et interculturelle riche. Au-delà du simple échange, il s’agit de développer un module européen reconnu, axé sur la participation élargie à la science, l’équité d’accès au savoir et la communication scientifique adaptée aux jeunes publics.
L’équipe pédagogique du projet SHARE réunie à Bilbao (Université du Pays-Basque), et des étudiants de Licence, Master et Doctorat en biotechnologie mobilisés sur le projet.
[Rendez-vous] Le projet SHARE prend vie sur le campus Carreire du 12 au 17 octobre 2025 !
- Le 12 octobre, dans le cadre de la Fête de la science, animation d’un atelier sur l’ADN, conçu par l’Université de Galway, où les étudiants de l’université de Bordeaux seront les facilitateurs. Des sessions seront proposées en français et en anglais afin de permettre à tous les publics, y compris anglophones, de participer.
- Les 14 et 15 octobre, des classes européennes du lycée Václav Havel ainsi que des élèves du Collège Clisthène prendront part à des ateliers thématiques dans le cadre de leur semaine interdisciplinaire. L’occasion de valoriser les productions des étudiants impliqués dans SHARE.
La semaine sera également rythmée par des moments d’échange entre les partenaires européens et les étudiants, afin de recueillir leurs retours d’expérience et nourrir les réflexions sur les évolutions futures du dispositif.
L’alliance ENLIGHT soutient la communauté enseignante de ses 10 universités* au travers de plusieurs dispositifs
- La conférence annuelle (ENLIGHT Teaching and Learning conference) sur l’innovation pédagogique constitue un rendez-vous incontournable pour explorer, partager et valoriser des pratiques pédagogiques inspirantes. Ce temps d’échange stimule également l’émergence de nouvelles idées et peut servir de tremplin à de futures collaborations entre participants.
- L’appel ENLIGHT Plus (avec la contribution de l’IdEx Bordeaux) a permis de soutenir la réalisation du projet SHARE. L’objectif est d’accompagner la création de nouvelles communautés engagées dans la vie des campus, l’innovation dans toutes ses formes, la durabilité, ainsi que la promotion de la diversité et de l’inclusion. Plus d’information et renseignements : enlight@u-bordeaux.fr
*universités du Pays Basque, de Bratislava, Berne, Gand, Galway, Göttingen, Groningen, Uppsala, Tartu, et Bordeaux.